← Comme nous possédons sa chanson, gravée en nous tout entière, nous n’avons pas besoin qu’une femme nous en dise le début—rempli par l’admiration qu’inspire la beauté—, pour en trouver la suite. Et si elle commence au milieu,—là où les cœurs se rapprochent, où l’on parle de n’exister plus que l’un pour l’autre—, nous avons assez l’habitude de cette musique pour rejoindre tout de suite notre partenaire au passage où elle nous attend. 🔊✎
← Il faut d’ailleurs dire que le visage d’Odette paraissait plus maigre et plus proéminent parce que le front et le haut des joues, cette surface unie et plus plane était recouverte par la masse de cheveux qu’on portait, alors, prolongés en «devants», soulevés en «crêpés», répandus en mèches folles le long des oreilles; et quant à son corps qui était admirablement fait, il était difficile d’en apercevoir la continuité (à cause des modes de l’époque et quoiqu’elle fût une des femmes de Paris qui s’habillaient le mieux), tant le corsage, s’avançant en saillie comme sur un ventre imaginaire et finissant brusquement en pointe pendant que par en dessous commençait à s’enfler le ballon des doubles jupes, donnait à la femme l’air d’être composée de pièces différentes mal emmanchées les unes dans les autres; tant les ruchés, les volants, le gilet suivaient en toute indépendance, selon la fantaisie de leur dessin ou la consistance de leur étoffe, la ligne qui les conduisait aux nœuds, aux bouillons de dentelle, aux effilés de jais perpendiculaires, ou qui les dirigeait le long du busc, mais ne s’attachaient nullement à l’être vivant, qui selon que l’architecture de ces fanfreluches se rapprochait ou s’écartait trop de la sienne, s’y trouvait engoncé ou perdu. 🔊✎
← Cette petite scène qui se renouvelait chaque fois que le pianiste allait jouer enchantait les amis aussi bien que si elle avait été nouvelle, comme une preuve de la séduisante originalité de la «Patronne» et de sa sensibilité musicale. Ceux qui étaient près d’elle faisaient signe à ceux qui plus loin fumaient ou jouaient aux cartes, de se rapprocher, qu’il se passait quelque chose, leur disant, comme on fait au Reichstag dans les moments intéressants: «Écoutez, écoutez.» Et le lendemain on donnait des regrets à ceux qui n’avaient pas pu venir en leur disant que la scène avait été encore plus amusante que d’habitude. 🔊✎
← —Mais non, répondit M. de Forcheville et comme pour se rapprocher plus aisément d’Odette, il désirait être agréable à Swann, voulant saisir cette occasion, pour le flatter, de parler de ses belles relations, mais d’en parler en homme du monde sur un ton de critique cordiale et n’avoir pas l’air de l’en féliciter comme d’un succès inespéré: «N’est-ce pas, Swann? je ne vous vois jamais. D’ailleurs, comment faire pour le voir? Cet animal-là est tout le temps fourré chez les La Trémoïlle, chez les Laumes, chez tout ça!...» Imputation d’autant plus fausse d’ailleurs que depuis un an Swann n’allait plus guère que chez les Verdurin. 🔊✎
← Il chercha, pour les interroger, à se rapprocher de certains viveurs; mais ceux-ci savaient qu’il connaissait Odette; et puis il avait peur de les faire penser de nouveau à elle, de les mettre sur ses traces. Mais lui à qui jusque-là rien n’aurait pu paraître aussi fastidieux que tout ce qui se rapportait à la vie cosmopolite de Bade ou de Nice, apprenant qu’Odette avait peut-être fait autrefois la fête dans ces villes de plaisir, sans qu’il dût jamais arriver à savoir si c’était seulement pour satisfaire à des besoins d’argent que grâce à lui elle n’avait plus, ou à des caprices qui pouvaient renaître, maintenant il se penchait avec une angoisse impuissante, aveugle et vertigineuse vers l’abîme sans fond où étaient allées s’engloutir ces années du début du Septennat pendant lesquelles on passait l’hiver sur la promenade des Anglais, l’été sous les tilleuls de Bade, et il leur trouvait une profondeur douloureuse mais magnifique comme celle que leur eût prêtée un poète; et il eût mis à reconstituer les petits faits de la chronique de la Côte d’Azur d’alors, si elle avait pu l’aider à comprendre quelque chose du sourire ou des regards—pourtant si honnêtes et si simples—d’Odette, plus de passion que l’esthéticien qui interroge les documents subsistant de la Florence du XVe siècle pour tâcher d’entrer plus avant dans l’âme de la Primavera, de la bella Vanna, ou de la Vénus, de Botticelli. 🔊✎
← Puis, faisant partie de cette spirituelle coterie des Guermantes où survivait quelque chose de l’esprit alerte, dépouillé de lieux communs et de sentiments convenus, qui descend de Mérimée,—et a trouvé sa dernière expression dans le théâtre de Meilhac et Halévy,—elle l’adaptait même aux rapports sociaux, le transposait jusque dans sa politesse qui s’efforçait d’être positive, précise, de se rapprocher de l’humble vérité. 🔊✎